Aujourd’hui samedi 8 février Libération publie une « Une » déchirante, et du strict point de vue de la communication, le plus paradoxal des messages : un journal qui dit « je suis un journal ».
Récapitulation. Le quotidien va mal car les lecteurs se font rares. C’est un problème dont souffre toute la presse. Les actionnaires en gestionnaires réactifs changent de stratégie. Libé ne sera plus un journal, ou plus seulement. La « marque » (principal capital de l’entreprise) sera exploitée pour créer des objets dérivés.
D’un froid point de vue entrepreneurial, le projet se défend. Du point de vue des journalistes et de tous ceux pour qui un journal doit rester un journal, c’est un suicide abominable, d’où ce cri du cœur : « Nous sommes un journal ».
Ce message m’évoque le roman de Garcia Marquez Cent ans de solitude. Dans un village où l’eau fait soudain perdre la mémoire à la population, les habitants pour sauver la civilisation décident de marquer sur chaque objet ce qu’il est, et à quoi il sert. « Ceci est une vache », « La vache nous donne du lait » … la fonction des choses qui semblaient naturelles est ainsi rappelée. Chez Marquez l’histoire finit bien. Le poison de l’effacement mémoriel finit par s’estomper et ces écriteaux deviennent inutiles. Pour Libé l’épilogue est incertain. La disparition pourrait bien être inéluctable et il y aura peu de journaux pour en parler.